Pleine lune sur le Lac

Le Royal Ballet a récemment confié à Liam Scarlett, jeune chorégraphe talentueux, la mission de donner un nouveau souffle au Lac des Cygnes, classique des classiques qui suscite toujours autant de curiosité et d’enthousiasme. Entouré d’une remarquable équipe artistique, il a mis sur pied une très belle production, doublée d’une dimension humaine et émotionnelle que je n’avais jusqu’à présent jamais perçue dans les autres versions.

Avec une intrigue visiblement située au XIXe siècle et des décors qui ne sont pas sans rappeler les toiles célèbres de cette époque, la relecture de Scarlett rend, à mon avis, un bel hommage à Tchaïkovski, célébrissime auteur de la partition de ce chef-d’oeuvre. La chorégraphie a été revisitée en partie, mais les piliers de l’œuvre demeurent, permettant à l’intrigue de trouver un nouvel équilibre entre le fantastique et le réel. Bien que le surnaturel garde sa place, les personnages semblent plus proches de nous, et leur lutte désespérée contre des forces qui les dépassent n’en est que plus crédible. Lorsque j’ai eu la chance de pouvoir visionner ce ballet, les deux rôles principaux étaient tenus par Vadim Muntagirov (Sigfried) et Marianela Nunez (Odette/Odile), véritablement au sommet de leur art. La plupart du temps, le personnage de Sigfried paraît assez terne. Mais ici, le jeune prince mélancolique et accablé par les devoirs de son rang est d’une fragilité poignante. En quête de sens, il va rencontrer Odette, métamorphosée en cygne par l’enchanteur Rothbart. Ils vont tomber amoureux et entrevoir l’espoir de se délester du poids de leur servitude. Mais Rothbart, qui exerce sa tyrannie sur les cygnes, occupe également la position d’austère conseiller de la mère de Sigfried. Il va tirer profit de la naïveté du prince en le poussant vers la version maléfique d’Odette, la séduisante Odile (le cygne noir), l’amenant ainsi à trahir son serment d’amour. Cette double position de Rothbart, en tant que menace externe et interne, est l’une des nouveautés introduites par Liam Scarlett. On note également la présence de deux princesses, sœurs cadettes de Sigfried. Elles sont accompagnées par l’ami de leur frère, un jeune homme dynamique qui remplace le bouffon espiègle des versions plus traditionnelles du ballet. Ces nouveaux personnages apportent une dimension familiale et chaleureuse à l’histoire. Leur univers est celui d’une jeunesse dorée et insouciante, où Sigfried ne trouve pas sa place. Parmi les autres agréables surprises scénographiques et chorégraphiques se trouve le fastueux troisième acte, avec son déluge flamboyant de danses de caractère remises à neuf. Les prétendantes de Sigfried et leurs délégations respectives y rivalisent de virtuosité. Mais bien évidemment, tout sera éclipsé par la beauté magnétique d’Odile, sa technique tranchante et ses coups d’œil assassins.

Finalement, que dire du lac lui-même… plus sombre que jamais, baigné de lueurs opalines et battu par les ailes blanches et majestueuses des cygnes, il continue d’exercer son charme éternel et de nous bouleverser.