Série Danse Danse – “Last Work” (Not least)

Ma connaissance d’Ohad Naharin et de ses créations était jusqu’alors assez limitée. J’avais entendu parler de la méthode Gaga et j’avais eu l’occasion de voir, il y a quatre ans, des extraits de Deca Dance interprétés par les Grands Ballets Canadiens. Je me souviens d’avoir été marquée par le paradoxe entre la répétition de mouvements dans un ordre précis et la liberté avec laquelle les artistes exécutaient les séquences. C’est donc avec une grande curiosité que je suis allée à la représentation de Last Work par la Batsheva Dance Company au mois de janvier. La chorégraphie est doublée d’une dimension théâtrale et ironique à travers laquelle sont dépeints des rapports humains cordiaux ou conflictuels. La force de cette pièce – et du travail d’Ohad Naharin en général – réside dans la transgression des limites du corps, mais une transgression parfaitement maîtrisée, harmonieuse et d’un naturel presque déconcertant. Au cours de cette soirée, je pense avoir expérimenté à plusieurs reprises l’état de stupéfaction.

Le rideau s’ouvre sur une scène dépourvue de décors. Une femme court sur un tapis roulant, aménagé sur une estrade proche du cyclo. Mon étonnement face à ce choix de mise en scène a fini par faire place à l’acceptation puis à l’admiration, quand j’ai réalisé que cette athlète serait notre compagne pendant toute la durée de la pièce. Cette présence s’est intégrée d’elle-même dans ma vision du spectacle, pas uniquement en tant qu’élément purement scénographique mais également en tant que trame temporelle. Enfin, il m’a semblé évident que cette course de soixante-dix minutes constituait une performance que je me devais de saluer. J’ai appris plus tard que ce rôle était en fait tenu alternativement par plusieurs danseurs et danseuses de la compagnie qui s’étaient portés volontaires et qui avaient suivi un entraînement spécial.

Partant de gestes simples, fluides ou saccadés, qui atteignent progressivement une amplitude hors du commun, la chorégraphie interprétée par les autres artistes révèle des dimensions inexplorées du mouvement humain. Les termes « courbes », « ondulations » ou « flexions » en donneraient une définition incomplète, tant les enchaînements vont au-delà de ce qui est habituellement vu ou expérimenté. Même le rapport au sol semble totalement redéfini. L’abandon à la gravité est tel que les corps se fondent littéralement dans le sol, l’épousent ou en jaillissent.

La pièce s’achève dans une sorte d’apogée, où tous les artistes sont réunis sur scène dans une formidable explosion de mouvements. Le génie de cette composition réside dans un désordre très organisé, où des gestes radicalement différents sont exécutés simultanément sans jamais être discordants. Et que dire de l’impétuosité de l’action finale, où un danseur, armé d’un dévidoir de ruban adhésif, parcourt frénétiquement la scène en attachant ensemble les autres artistes, créant ainsi une gigantesque toile d’araignée? L’énigme demeure, mais cette montée en puissance ne laisse pas indifférent.

De l’interview d’Ohad Naharin qui a succédé à la représentation, j’ai essentiellement retenu ce point de vue, qui a ouvert de nouvelles portes dans ma perception de la danse : Pour le spectateur, la quête du sens d’une chorégraphie ou d’un choix scénographique en particulier ne devrait pas avoir tant d’importance. L’essentiel ne se situe qu’au cœur des émotions qu’elle procure, et l’étonnement ou  l’émerveillement sont déjà en soi des formes de compréhension.

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Pour en savoir plus sur la compagnie :

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